Is not what most of us are after? Who does not want to be H A P P Y?
La béatitude ou le bonheur c’est bien notre quete?
Thomas d’ Aquin pose la question:
[Qu’est-ce que la béatitude?]
Il faut donc savoir ceci : bien que le désir de tout homme tende à la béatitude, certains ont tenu diverses opinions à son sujet. Plusieurs se sont trompés sur le lieu de la béatitude, d’autres sur sa durée, d’autres sur l’occupation ou l’opération.
En premier lieu, se sont trompés ceux qui ont placé la béatitude en ce monde, comme dans les choses corporelles, les vertus ou les sciences. Isaïe 3, 12 les contredit : Mon peuple, ceux qui te disent bienheureux, ceux-là t’égarent. Cela est juste, car cette opinion va d’abord contre la perfection de la béatitude, puisque, selon le Philosophe, la béatitude est le bien parfait parce qu’elle est la fin ultime. Il est donc nécessaire que le désir s’[y] repose, ce qui ne serait pas le cas s’il restait encore quelque chose à désirer après l’avoir obtenue. Or, en cette vie, la perfection du bien ne peut exister dans les choses du monde, car, en les obtenant, on en désire encore davantage; ni dans les vertus ni dans les sciences, car tout homme doit toujours progresser dans les vertus et dans les sciences, comme le dit le psaume 139[138], 16 : Tes yeux m’ont vu quand j’étais imparfait, etc., et 1 Corinthiens 13, 9 : Nous connaissons seulement en partie.
En second lieu, [cette opinion] va contre la pureté de la béatitude : si, en effet, elle est le bien suprême, elle ne doit être mélangée d’aucun mal, comme le blanc parfait doit être sans mélange de noir. On ne peut donc appeler bienheureux celui qui souffre quelque misère, car on ne peut à la fois être malheureux et heureux. Et on ne trouve personne en cette vie qui ne souffre de quelque misère ou d’incommodités au sujet de biens, d’amis ou de sa personne, lesquelles empêchent leurs actes, leurs vertus, leurs connaissances. Job 14, 1 dit de l’homme qu’il est rempli d’une foule de misères.
En troisième lieu, [cette opinion] va contre la stabilité de la béatitude, car la béatitude n’apaiserait pas le désir si elle n’était pas stable. En effet, plus on aime un bien possédé, plus on s’affligera si on craint de le perdre. Ainsi, selon le Philosophe, on ne peut croire qu’est heureux le caméléon qui change de couleur. Mais il faut que la béatitude soit immuable, ce qui ne peut exister en cette vie, car les choses extérieures et le corps humain sont soumis à diverses circonstances, en sorte que nous pouvons dire par expérience qu’en cette vie il n’y a pas de stabilité. Job 14, 2 : On ne reste jamais dans le même état, et Proverbes 14, 13 : Le deuil remplace la joie extrême. Si tu demandes au psalmiste où se trouve le véritable lieu de la béatitude, il répond : Bienheureux ceux qui habitent dans ta maison, Seigneur!
À propos de la durée de la béatitude, certains se sont trompés en disant que les âmes séparées de leur corps obtiennent la béatitude; quand, après bien des années, elles reviennent à leur corps et sont soumises aux misères de la vie présente, elles cessent d’être bienheureuses. C’est l’erreur de Platon et de ses sectateurs, dans laquelle est tombé Origène. À ceux-là peut être appliqué ce que dit le livre de la Sagesse 2, 22 : Ils n’ont pas compris l’honneur des âmes saintes, ou encore Matthieu 25, 46 : Ils s’en iront à une peine éternelle, mais les justes à une vie éternelle.
Cette opinion est mauvaise pour trois raisons. D’abord, parce qu’elle contredit le désir naturel. Par nature, en effet, le désir de toute chose est de se conserver dans l’être et dans sa perfection. Mais il faut noter que les choses sans raison ne tendent pas à l’universel et que leur désir ne tend pas à ce que soit conservée leur perfection; mais la nature raisonnable, connaissant l’universel, tend naturellement à conserver sa perfection pour toujours. Ainsi, son désir ne serait pas satisfait, si l’âme ne jouissait pas d’une béatitude perpétuelle, et sa béatitude ne serait pas véritable, puisque les carences de l’avenir ou la prescience du futur seraient ignorées. L’Apôtre parle de ce désir naturel en 2 Corinthiens 5, 2 : En effet, nous gémissons, désireux de revêtir par-dessus l’autre notre habitation céleste.
Ensuite, [cette opinion] est contraire à la perfection de la grâce. En effet, toute chose, naturellement comblée par sa perfection, y persévère de manière immuable. C’est pourquoi la matière première ne reste jamais sous la forme de l’air, car une telle forme ne peut remplir toute la capacité de la matière. Mais l’intellect demeure de façon immuable dans l’assentiment des principes premiers, car c’est par eux qu’il est entièrement comblé par ce qui peut être démontré, et ainsi il y consent de façon immuable. Or, l’âme bienheureuse est totalement comblée par la béatitude; autrement, il ne s’agirait pas d’un bien parfait. Le psaume 16[15], 11 le dit : Ton visage me remplira de joie, etc. Et c’est pour cela qu’il poursuit : Délices éternelles en ta droite jusqu’à la fin. Et parce que la perpétuité découle d’une telle plénitude de grâce, l’Apocalypse3, 12 dit : Parce qu’il a vaincu, j’en ferai une colonne dans le temple de mon Dieu et il n’en sortira plus.
En troisième lieu, [cette opinion] s’oppose à l’équité de la divine justice, car l’homme adhère à Dieu par la charité avec le propos de ne jamais s’en écarter. Romains 8, 35 : Qui nous séparera de la charité du Christ? [Dieu] ne rendrait pas pleinement justice à la charité, si [l’homme] était à un moment écarté de [sa] jouissance (fruitio). Ainsi, Jean 6, 37 [dit] : Celui qui vient à moi, je ne le jetterai pas dehors. Et si on interroge le psalmiste, il répond : Ils te loueront pour les siècles des siècles (Psaume 84[83], 5).
Au sujet de l’occupation des bienheureux et de leur opération, les juifs et les musulmans se trompent, quand ils disent que les hommes sont bienheureux en s’adonnant aux festins, aux beuveries, au commerce avec les femmes. Ce que réprouve Matthieu 22, 30 : À la résurrection, on ne prend ni femme ni mari, etc.Cette opinion est à juste titre repoussée. En effet, elle va d’abord contre le privilège de l’homme, car, si la béatitude consiste dans l’usage de la nourriture ou des facultés sexuelles qu’on trouve aussi chez les autres animaux, il faudrait que la béatitude existe non seulement pour l’homme, mais qu’il y ait des béatitudes pour les animaux, alors que c’est un privilège de l’homme d’être seul capable de béatitude parmi toutes les créatures inférieures, comme le dit le psaume 36[35], 7s : Tu sauveras les hommes et les bêtes, Seigneur, à savoir, pour la santé du corps, mais les fils des hommes espéreront sous l’ombre de tes ailes.
En deuxième lieu, cela va contre la joie de la nature, car la nature supérieure ne peut être rendue bienheureuse par une nature inférieure. Car, si la béatitude de l’homme consistait dans le fait de manger et que l’homme était rendu bienheureux par le fait de manger, alors l’homme deviendrait bienheureux grâce aux aliments qu’il mangerait. Ceux-ci seraient donc plus dignes que l’homme, alors qu’il est placé au-dessus de toutes les natures inférieures. Psaume 8, 7 : Tu as tout mis sous ses pieds.
En troisième lieu, cela s’oppose au zèle de la vertu. En effet, la vertu consiste pour l’homme à s’écarter des plaisirs. Toutes les vertus qui portent sur des plaisirs sont donc nommées à partir de l’opposition à ceux-ci, comme l’abstinence, la tempérance et autres choses du même genre. Mais c’est le contraire pour les vertus qui concernent les choses qui exigent beaucoup d’effort et sont difficiles, comme la force, la magnanimité et les choses de ce genre. Si la béatitude de l’homme consistait dans les plaisirs de la chair, la vertu, qui est le chemin de la béatitude, n’écarterait pas des plaisirs, comme cela arrive à ceux dont parle Philippiens 3, 19 : Leur Dieu, c’est leur ventre! Si tu interroges le psalmiste sur l’occupation et l’opération des bienheureux, il te répondra : Ils le loueront (Psaume 84[83], 5).
[Comment parvient-on à la béatitude?]
Il reste encore à voir comment parvenir à cette béatitude.
Il faut savoir qu’il existe trois béatitudes. La première est mondaine : elle consiste dans l’abondance et la jouissance des biens de ce monde. Psaume 144[143], 15 : Ils ont déclaré heureux le peuple où il en est ainsi. Cette béatitude consiste d’abord dans les honneurs, les richesses, les plaisirs, car, comme on le dit en 1 Jean 2, 16 : Tout ce qui est dans le monde, la convoitise de la chair, etc. Sous le terme d’honneur, on comprend la dignité et la renommée, en sorte que ces trois choses incluent les cinq en lesquelles, selon Boèce, consiste le bonheur terrestre. Les ambitieux s’efforcent d’arriver à la dignité par le l’orgueil et l’argent, car il est écrit dans Siracide 10, 19 : Toutes choses obéissent à l’argent, et dans Proverbes 19, 6 : Beaucoup honorent la personne du riche. Le Seigneur, quant à lui, enseigne de parvenir à la dignité par le chemin contraire, à savoir, par la pauvreté et l’humilité, car, ainsi qu’il est dit en Luc 1, 52 : Il a renversé les puissants de leur trône, et en Matthieu 5, 3 : Heureux les pauvres en esprit, etc. Il est question de «royaume», car cela est précieux parmi les honneurs. Cette béatitude convient principalement au Christ, car, alors que les anciens pères jouissaient des richesses, il fut le premier à annoncer et à enseigner cette béatitude. 2 Corinthiens 8, 9 : Vous connaissez la grâce de notre Seigneur Jésus, le Christ. Matthieu 19, 21 : Si tu veux être parfait, va, vends [ce que tu possèdes], etc.
Les hommes de ce monde obtiennent souvent les richesses au moyen de querelles, de combats ou, à tout le moins, de luttes dans des procès. Jacques 4, 2 [dit] : Vous bataillez et vous faites la guerre. Mais Dieu enseigne une voie contraire, celle de la douceur qui n’irrite pas et n’est pas irritée. Et cela n’est pas étonnant, car, comme il est dit dans Proverbes 3, 34 : Le royaume sera donné aux doux. C’est pourquoi [le Seigneur] dit dans Matthieu 5, 4 : Heureux les doux! Cette béatitude convient aux martyrs, qui ne se sont pas irrités contre leurs persécuteurs, mais ont plutôt prié pour eux. 1 Corinthiens 4, 12 : Maudits, nous bénissons. Ainsi, c’est d’eux qu’il est dit : On n’entend ni murmure ni plainte dans leur bouche[8].
Les hommes s’efforcent de parvenir aux plaisirs par divers moyens, comme le dit Job 21, 12 : Ils jouent du tambourin. Mais le Seigneur enseigne, au contraire, une voie opposée, à savoir, celle des pleurs : Heureux ceux qui pleurent, etc. (Matthieu 5, 5). Il est dit aussi dans le livre de Tobie 2, 6 : Tout s’est changé en lamentation et en douleur, etc. Cette béatitude convient aux confesseurs qui ont mené leur vie en ce monde parmi bien des gémissements et des larmes, selon ce passage de Lamentations 1, 22 : Nombreux sont nos gémissements.
La seconde béatitude est politique : elle consiste en ce qu’on se gouverne bien dans ses actions grâce à la vertu de prudence, et elle est au mieux lorsqu’elle gouverne non seulement soi-même, mais aussi la cité et le royaume. Voilà pourquoi cette béatitude convient surtout aux rois et aux princes. Il est dit d’elle en Job 29, 11 : L’oreille qui m’entend me rend bienheureux. Mais il faut savoir la différence entre un roi et un tyran, car le roi cherche, par son gouvernement, le bien de son peuple, et son propos ne s’écarte pas de sa sagesse. Proverbes 8, 15 [dit] : C’est par moi que gouvernent les rois. Le tyran, au contraire, entend s’écarter de l’ordre de la sagesse divine, car il cherche plutôt à combler ses désirs afin de faire ce qu’il veut, et il entend y parvenir par sa rapacité, en dépouillant injustement les autres. Ainsi, il est écrit dans Proverbes 28, 15 : Un lion rugissant, un ours affamé : tel est le chef impie pour un peuple faible. Mais le Seigneur enseigne, au contraire, la justice, quand il dit : Heureux ceux qui ont faim et soif de justice (Matthieu 5, 6). C’est aussi ce qui est dit dans le livre des Proverbes 13, 25 : Le juste mange et est rassasié. Cette béatitude convient aux anciens pères qui avaient le plus grand désir de la parfaite justice du Christ. Isaïe 63, 19 : Puisses-tu déchirer les cieux! Ensuite, le tyran recherche l’impunité pour les maux qu’il accomplit, et il s’efforce de l’obtenir par la cruauté, de sorte qu’il soit tellement craint que personne ne s’oppose à lui. Il est question d’eux dans le psaume 79[78], 2 : Ils ont livré les cadavres de tes serviteurs en pâture aux oiseaux du ciel. Mais le Seigneur enseigne le chemin inverse pour gagner la voie de la miséricorde : Heureux les miséricordieux, etc. (Matthieu 5, 7). Matthieu 6, 15 : Si vous ne remettez pas aux hommes leurs péchés, etc. Cette béatitude convient aux anges qui sont miséricordieux pour nous sans passion et nous secourent dans nos misères. Isaïe 33, 7 : Les anges de paix pleurent amèrement.
La troisième béatitude est contemplative : c’est surtout celle de ceux qui tendent à acquérir la vérité, et par-dessus tout la vérité divine. Siracide 14, 20 : Heureux l’homme qui demeurera dans la sagesse!
Cette béatitude, les philosophes se sont efforcés de l’obtenir par deux moyens, eux qui avaient deux buts, à savoir, connaître la vérité et acquérir l’autorité. Ils se sont efforcés de connaître la vérité par la pratique de l’étude. Mais Dieu enseigne une voie plus rapide, la pureté du cœur : Heureux les cœurs purs, etc. (Matthieu 5, 8), et Sagesse 1, 4 : La sagesse n’entrera pas dans une âme malveillante et n’y habitera pas, etc. Cette béatitude convient surtout aux vierges qui ont gardé intacte la pureté de leur esprit et de leur corps.
Mais les philosophes ont voulu acquérir l’autorité en s’engageant dans les disputes controversées. Mais, comme le dit 1 Corinthiens 11, 16 : Si quelqu’un parmi vous cherche à ergoter… C’est pourquoi le Seigneur enseigne qu’on arrive à l’autorité divine par la paix, de sorte qu’un homme soit considéré en autorité par les autres, selon [ce qui est dit] dans Exode 7, 1 : Je te fais chef pour Pharaon. C’est ainsi qu’il est dit : Heureux les pacifiques! (Matthieu 5, 9). Cette béatitude convient surtout aux apôtres dont il est dit en 2 Corinthiens 5, 19 : Il a mis en nous une parole de réconciliation, etc. Quant à ce qui est dit : Heureux ceux qui souffrent persécution, etc. (Matthieu 5, 10), il ne s’agit pas d’une autre béatitude, mais elle renforce les précédentes, car on ne peut être ferme dans la pauvreté, la douceur et dans le reste si, dans les persécutions, on s’en écarte. C’est pourquoi toutes les récompenses qui précèdent sont dues à cette béatitude, et on revient au commencement : Car le royaume des cieux est à eux (Matthieu 5, 3; 5, 10). Et on doit comprendre de la même manière : Car ils posséderont la terre (Matthieu 5, 4), et ainsi de suite pour le reste.
La béatitude des saints a donc quelque chose de toutes les [béatitudes] précédentes selon qu’elle possède tout ce qu’on y trouve de louable. De la béatitude mondaine, elle possède la riche demeure : Heureux ceux qui habitent dans ta maison (Psaume 84[83], 5). C’est la maison de gloire dont parle le psaume 27[26], 4 : J’ai demandé une chose au Seigneur, etc. Dans cette maison, on obtient tout ce qu’on désire. Psaume 65[64], 5 : Nous serons rassasiés de biens dans ta maison. Apocalypse 5, 10 : Tu as fait de nous pour notre Dieu un royaume et des prêtres. Là se trouveront des richesses qui apportent la satiété. Psaume 26[25], 8 : La gloire et les richesses sont dans ta maison. Là se trouveront les délices qui renouvellent l’homme en son entier. Psaume 36[35], 9 : Ils s’enivreront de la graisse de ta maison, etc. De la béatitude politique, les saints possèdent la perpétuité, car le dirigeant de la cité doit s’efforcer de préserver pour toujours le bien de la cité, comme il est dit : Dans les siècles des siècles (Psaume 83, 5). Cette perpétuité provient de trois réalités : d’abord, du partage des biens : Je me rassasierai à l’apparition de ta gloire (Psaume 17[16], 15); ensuite, du rejet du dégoût, car, bien qu’on ait été rassasié, on aura toujours faim. Siracide 24, 21 : Ceux qui me mangent auront encore faim. Enfin, de l’immunité de toutes sortes de maux et de misères. Apocalypse 7, 16 : Jamais plus ils ne souffriront de la faim et de la soif. De la béatitude contemplative, les saints posséderont une certaine familiarité avec les choses de Dieu, car la béatitude contemplative consiste surtout dans la contemplation. C’est pourquoi on dit : Ils te loueront (Psaume 84[83], 5). En effet, ils verront Dieu sans intermédiaire et clairement : Nous le voyons maintenant comme dans un miroir, etc. (1 Corinthiens 13, 12), et ils l’aimeront sans cesse comme des fils, car, selon les Grecs, «fils» dérive d’amour[9]. 1 Jean 3, 1 : Voyez quel amour le Père nous a donné pour que nous soyons appelés fils de Dieu, et nous le sommes, et comme de bons fils, ils l’honoreront par la louange. Isaïe 35, 10 : Ils obtiendront joie et allégresse, etc. Le psaume ne parle que de cela, à partir de quoi le reste se comprend, car ce qui est loué est connu et aimé. C’est pourquoi Augustin [dit], La cité de Dieu, XX : «Cette fonction, cet amour, cet acte est pour tous comme la vie de l’éternité.»
Que le Fils nous y conduise, etc.
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